Autor Daniel Nestor Solenthaler – CEO +41 44 515 47 30 daniel.solenthaler@timesensor.de

Vers une justice en ligne globale ?

En tant que l’une des rares entreprises développant des logiciels de gestion pour cabinets d’avocats sur un marché international, nous surveillons de près le développement des projets de justice en ligne dans un certain nombre de pays européens voisins. On peut rapidement constater que chaque pays poursuit sa propre stratégie et que les concepts transfrontaliers sont encore loin d’être à l’ordre du jour. Prenons l’Allemagne et la Suisse, deux pays voisins ayant pourtant une culture, un système juridique et une langue similaires: leurs concepts de justice en ligne n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Allemagne En Allemagne, la «boîte aux lettres électronique spéciale de l’avocat» (beA) a été introduite en septembre dernier après neuf mois de retard. Son déploiement s’est brutalement arrêté peu avant la fin de l’année 2018, lorsque le Chaos Computer Club a identifié une longue liste de failles de sécurité (https://www.heise.de/newsticker/meldung/34C3-Das-besondere-Anwaltspostfach-beA-als-besondere-Stuemperei-3928474.html). Après une période d’interruption au cours de laquelle l’ensemble de ces défaillances ont (théoriquement) été supprimées, les premiers documents électroniques ont pu commencer à circuler au compte-gouttes dans le système. Le concept de la beA correspond peu ou prou à celui d’une boîte mail. Il s’agit donc d’un moyen de transmission sécurisé des messages de A à B. Dans la mesure où, en Allemagne, la représentation par un avocat est obligatoire, on a pu prescrire une boîte aux lettres électronique à tous les titulaires de la profession. Armés d’une carte de signature et d’un lecteur, les avocats allemands peuvent désormais envoyer leurs messages aux tribunaux, qui ont de leur côté la possibilité de transmettre leurs décisions dans la boîte aux lettres de l’avocat, où elles sont réputées avoir force obligatoire. De nombreuses faiblesses ont été signalées lors de la première mise en service du système. Il semblerait qu’elles soient peu à peu neutralisées et que la circulation des communications reprenne progressivement… Le système est notamment confronté de manière inhérente à un conflit entre le chiffrement dit «de bout en bout» et la nécessité de rediriger les messages en cas d’absence d’un professionnel (en raison de congés, par exemple) vers une autre boîte aux lettres, ce qui nécessite logiquement un nouveau cryptage. La mise en place d’une boîte noire haute sécurité appelée «HSM» au milieu du système relève par ailleurs de la quadrature du cercle: les messages en transit y sont transcodés, ce qui laisse supposer que le prétendu chiffrement «de bout en bout» n’en est pas vraiment un (https://www.golem.de/news/anwaltspostfach-die-unnoetige-ende-zu-mitte-verschluesselung-von-bea-1801-132394.html). Par ailleurs, les métadonnées structurées doivent également être transférées vers les documents individuels transmis. Ces informations sont transmises au jeu de données «XJustiz» dans un fichier XML (https://xjustiz.justiz.de). Suisse Les Suisses ont cessé de s’intéresser aux questions de justice en ligne depuis longtemps et sont aujourd’hui largement distancés par leurs voisins. On peut toutefois noter le lancement en février dernier de «Justitia 4.0», un projet de numérisation du système judiciaire suisse (https://www.justitia40.ch/fr/). Les Suisses ne seraient pas les Suisses s’ils se contentaient d’une vulgaire solution de boîte mail. Justitia 4.0 devrait donc être bien plus que cela: une plateforme regroupant l’intégralité des dossiers judiciaires, sur laquelle les parties pourraient avoir accès aux fichiers, le tout fonctionnant à l’aide de mécanismes sophistiqués. Dans le même temps, une application spécifique doit être élaborée pour permettre la visualisation des dossiers. Pas moins de huit groupes d’experts travailleront d’arrache-pied sur divers aspects du système en vue du déploiement de cette somptueuse solution d’ici 2023… La manière dont les logiciels de gestion de cabinet d’avocats pourront se connecter au système reste une incertitude totale. Mais après tout, le projet n’en est encore qu’à sa phase de conception! (https://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/staat/rechtsinformatik/magglingen/2019/ 10a-meyer-d.pdf) Ce que les Allemands appellent le jeu de données XJustiz, les Suisses le nomment eCH0051. Il s’agit du reste d’un standard de la police. Inutile de dire que XJustiz et eCH0051 ne sont pas compatibles.

Conclusion Dans la mesure où chaque pays prépare sa petite soupe personnelle, il est peu probable que les avocats échangeant des communications transfrontalières puissent passer au numérique sous peu. Pour nous, en tant qu’éditeur de logiciel de gestion pour cabinets d’avocats, la conclusion est simple: nous devons intégrer à notre solution chaque norme nationale de manière individuelle. Nous ne devrions donc pas manquer de travail de sitôt – ce qui n’est pas plus mal !

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